23/09/2012

The Avengers (2012) - ★★★★★★★☆☆☆ 6/10

Les fans l’attendaient depuis la scène post-générique d’Iron Man en 2008, cette année la réunion des super-héros leur est enfin offerte. Marvel achève ainsi un rêve vieux de quatre ans : réunir ses héros dans un ultime film. Le résultat, un film de genre efficace mais quelque peu décevant.

Lorsque Nick Fury, le directeur du S.H.I.E.L.D, l’organisation qui préserve la paix au plan mondial, cherche à former une équipe de choc pour empêcher la destruction du monde, Iron Man, Hulk, Thor, Captain America, Hawkeye et Black Widow répondent présents.
Les Avengers ont beau constituer la plus fantastique des équipes, il leur reste encore à apprendre à travailler ensemble, et non les uns contre les autres, d’autant que le redoutable Loki a réussi à mettre la main sur le Cube Cosmique et à son pouvoir illimité…




















Si le film fonctionne, c’est au final grâce à son humour décontracté dont le Tony Stark de Robert Downey Jr. est le parfait ambassadeur.

Depuis quatre ans, les frontons de cinéma sont régulièrement squattés par les films de l’écurie Marvel. Après la popularité confirmée du colérique homme vert dans l’Incroyable Hulk en 2008, le studio connait un succès dépassant ses attentes les plus optimistes avec Iron Man, considéré par beaucoup comme un personnage appartenant à la catégorie des seconds couteaux. Dès cette époque, The Avengers est dans la tête des exécutifs Marvel mais ils doivent d’abord présenter au public d’autres de leurs héros moins connus pour concrétiser ce qu’ils voulaient être l’ultime film de super-héros. Après avoir confirmé le nouvel aura du milliardaire play-boy Tony Stark avec Iron Man 2, Marvel Studios dévoile les premières aventures de leur Mighty Thor. Quelques mois plus tard, c’est le plus patriote des super-héros qui débarque sur nos écrans : Captain America dont le caractère made in USA ne gênera que très peu ses performances au box-office mondial.
Il est désormais l'heure d'amorcer «L’Initiative Avengers ».

Le film reprend la structure de blockbuster popularisée par le duo Simpson-Bruckheimer dans les années 80 avec Top Gun, à savoir un premier acte où les héros prouvent leurs caractères exceptionnels, un deuxième où leur arrogance cause momentanément leur chute avant un ultime acte dans lequel, après avoir tiré des leçons de leurs expériences passées, ils affrontent brillamment l’obstacle qui se dresse sur leur route.

Cependant, à la sortie du film, nous ne retenons que deux actes. C’est ce dont souffre le film au final: une structure en vérité binaire. Après une éternité passée sur le porte avion volant, le spectateur peut enfin assister à ce qui l’a fait acheter son ticket : un combat collectif contre une menace bien trop grande pour la simple race humaine. Le film est en effet moins spectaculaire que prévu car à part la destruction, réussie il faut l'avouer, de New York, le public a bien du mal à se souvenir d’autres moments palpitants du film.

















 Le film souffre d'une structure binaire. Après une éternité passée sur le porte avion volant, le spectateur peut enfin assister à ce qui l’a fait acheter son ticket : un combat collectif contre une menace bien trop grande pour la simple race humaine.

Malgré ses défauts, le film reste cependant jouissif par bien des aspects. Des références cool à la pop culture et à l’univers de chacun des héros égayent cette nouvelle super production Marvel. Si le film fonctionne, c’est au final grâce à son humour décontracté dont le Tony Stark de Robert Downey Jr. est le parfait ambassadeur. La personnalité exubérante mais cependant séduisante du milliardaire Stark, c’est ce qui a fait le succès des films de l’homme d’acier et Marvel le sait. Son arrogance nous ravie et sa flegme nous séduit. Captain America nous offrira quelques sourires, droit comme un « i » dans un monde où il est en décalage. Cependant, le scénariste-réalisateur Joss Whedon abuse par moment un peu trop du comique et c’est principalement Loki qui en pâtit. Complètement oublié dans le dernier acte, hormis un combat avec son demi-frère, lorsqu’il apparaît c’est pour être agité comme un vulgaire hochet par Hulk. Pourtant au départ plus menaçant que dans Thor, Loki finit ici de se faire ridiculiser, révélant ainsi un autre défaut majeur du film : un méchant qui n’est pas de taille face à une équipe de super-héros cinq étoiles.

La menace du film, ce n’est en réalité pas lui mais plutôt l’armée gigantesque d’aliens, les Chitauri. Si l’on croit un moment que les Vengeurs sont bel et bien dans le pétrin, les extra-terrestres souffrent d’un piètre chef de guerre envoyant leur armée au compte-goutte. L’habit ne fait pas le moine, malgré leur taille immense et leur résistance aux lasers d’Iron Man, un coup de poing de Hulk cause la perte des vaisseaux ennemis, mais après tout ce n’est pas grave car Bruce Banner nous gratifie d’une punchline jouissive avant sa métamorphose : « That’s my secret… I’m always angry ! ». On regrettera aussi la défaite adverse dérangeante qui rappelle étrangement celle plus justifiée des soldats de Star Wars – Episode 1.





Le réalisateur signe un film à grand spectacle dans le haut du panier des productions hollywoodiennes actuelles, parvenant à toujours nous faire apprécier les ficelles, pourtant un peu éculées, des blockbusters américains.

On ajoutera à la colonne des reproches l’acte de bravoure inévitable, téléphoné depuis le deuxième acte, d’un de nos héros en costume. Au final, le résultat est positif pour les Avengers et cela grâce à une bataille époustouflante dans les rues de New York dans laquelle le réalisateur nous offre des moments de camaraderies cool et exaltants. Il prouve également ses talents de technicien dans un plan séquence brillant où chaque super-héros expose ses talents de combattant. Au final, le scénariste-réalisateur Joss Whedon fait le job, livre un film à grand spectacle dans le haut du panier dans des productions hollywoodiennes actuelles, parvenant à toujours nous faire apprécier les ficelles, pourtant un peu éculées, des blockbusters américains.

L’affrontement ultime de l’année 2012 dans les salles était celui opposant The Avengers face au dernier volet des aventures du Chevalier Noir : The Dark Knight Rises. Marvel malgré un projet pharaonique et les difficultés qu’un film choral pouvait laisser présager réussit humblement pendant que l’ultime volet du Caped Crusader se perdait dans une ambition qui lui a malheuresement échappé. La dernière séquence parfaitement maîtrisé du film, portée par le crescendo musical de l’hymne des Avengers nous fixe un nouveau rendez-vous (en mai 2015) pour une nouvelle aventure de ce best of Marvel, s’annonçant comme le nouveau film le plus attendu de la décennie par le grand public depuis que Batman a momentanément rangé son costume.

Note : ★★★★★★☆☆☆☆ 6/10

Bande annonce de « The Avengers »

The Avengers (2012)
Ecrit & Réalisé par : Joss Whedon
Produit par : Kevin Feige
Avec : Robert Downey Jr, Chris Hemsworth, Chris Evans, Jeremy Renner, Mark Ruffalo, Scarlett Johansson, Samuel L. Jackson et Tom Hiddleston.
Durée : 2h20
Budget : 220,000,000 $
Box Office : 1,510,821,842 $
USA : 622,421,842 $
France : 4,377,648 entrées

18/09/2012

The Departed (Les Infiltrés - 2006) - ★★★★★★★★★☆ 8.5/10

Avec Les Infiltrés, regroupant un casting cinq étoiles, Martin Scorsese signe un polar intense et remporte enfin l'Oscar du meilleur réalisateur.

A Boston, une lutte sans merci oppose la police à la pègre irlandaise.
Pour mettre fin au règne du parrain Frank Costello, la police infiltre son gang avec "un bleu" issu des bas quartiers, Billy Costigan. Tandis que Billy s'efforce de gagner la confiance du malfrat vieillissant, Colin Sullivan entre dans la police au sein de l'Unité des Enquêtes Spéciales, chargée d'éliminer Costello. Mais Colin fonctionne en "sous-marin" et informe Costello des opérations qui se trament contre lui. Risquant à tout moment d'être démasqués, Billy et Colin sont contraints de mener une double vie qui leur fait perdre leurs repères et leur identité. Traquenards et contre-offensives s'enchaînent jusqu'au jour où chaque camp réalise qu'il héberge une taupe. Une course contre la montre s'engage entre les deux hommes avec un seul objectif : découvrir l'identité de l'autre sous peine d'y laisser sa peau...





Le titre original The Departed, littéralement « les Défunts », informe d’emblée le spectateur que les protagonistes sont tous d’ores et déjà condamnés.

Malgré les années et la renommée, Martin Scorsese enchaine les films avec autant de régularité que dans sa jeunesse et ce, pour notre plus grand plaisir. En 2006, le réalisateur des Affranchis revient avec un film policier, remake américain du film hongkongais Interfal Affairs. A nouveau, Scorsese distribue le premier rôle à son nouvel acteur fétiche, Leonardo DiCaprio, qui l’oppose à un monstre sacré : Jack Nicholson. Viennent s’ajouter Matt Damon, Mark Whalberg, Martin Sheen et Alec Baldwin, complétant un casting cinq étoiles pour donner vie à cette histoire de trahison et de double-jeu propre à la filmographie scorsesienne.
Le titre français Les Infiltrés, semblant vouloir nous remémorer Les Affranchis, affaiblit le titre original The Departed, littéralement « les Défunts », informant d’emblée le spectateur que les protagonistes sont tous d’ores et déjà condamnés.

Le film s’ouvre sur un monologue envoûtant de Jack Nicholson, alias Frank Costello, le chef de la pègre de Boston, dont nous retrouvons la folie effrayante, qui tord la morale à sa convenance devant un jeune influençable, Matt Damon, qui dans la scène suivante passe l’examen d’entrée dans la police de Boston pour lui. Au même moment, DiCaprio passe l’épreuve, mais des deux, il est le plus mal loti, comme le confirme la scène suivante où les deux hommes passent successivement une entrevue. La sienne, plus frontale, nous présente un homme abîmé, comme les aime Scorsese, destiné à en baver. Chargé d’intégrer la mafia irlandaise de la ville, sa mission viendra ajouter de nouvelles blessures à une existence déjà bien meurtrie.


Leonardo Dicaprio atteint un nouveau palier dans son travail d’acteur, proposant un jeu d'une intensité remarquable.

Les Infiltrés met en scène la montée parallèle de deux taupes atteignant le sommet dans leur monde respectif. Le spectateur ne pourra n’en suivre qu’un seul et son choix se portera naturellement sur un DiCaprio qui compose un nouveau portrait d’homme blessé. Depuis Gangs of New York, l’acteur est bel et bien devenu adulte et son jeu a gagné en maturité. Comme le confiera Scorsese, Leonardo Dicaprio atteint un nouveau palier dans son travail d’acteur. A ce jour, sa performance est pour moi la plus touchante. L’intensité de son jeu est remarquable. La mâchoire crispée, regardant toujours par-dessus son épaule, il évolue dans un univers effrayant. Son regard, tantôt terrifié, tantôt dans l’expectative, est toujours vif pour éviter une élimination sommaire dans un monde où la vie ne tient qu’à un coup de fil. Son périple dans les bas-fonds de Boston est d’autant plus douloureux qu’il tranche clairement avec la vie dorée du personnage de Matt Damon, rythmée par les promotions et les diners dans les restaurants gastronomiques. Ce dernier saura parfaitement retranscrire, par la sobriété de son jeu, la froideur manipulatrice de son personnage pendant une bonne partie de film avant de rejoindre, comme beaucoup d'autres, la liste des trahis.

Etonnement, DiCaprio ne recevra pas de double nomination à l'Oscar, l’Académie optant pour le nommer seulement sur Blood Diamond sans pour autant lui offrir la précieuse statuette.

L’autre performance magistrale du film est celle de Nicholson en parrain Irlandais, personnage auquel l’acteur ajoute sa touche de folie personnelle en évitant le cabotinage, composant une de ses meilleures prestations.



Les talents de conteur hors-pair de Scorsese font de lui un des seuls cinéastes américains à être constamment au sommet de son art.

Vingt-cinq ans après sa première nomination, Scorsese remporte enfin l'Academy Award du meilleur réalisateur aux allures cependant d'Oscar d'honneur. Après tant d’années, les fans du cinéaste mais aussi de cinéma sont aux anges, tout comme l’assistance qui lui offre une véritable ovation. Dans les applaudissements, l’homme est accueilli sur scène par ses amis réalisateurs : Steven Spielberg, Francis Coppola et Georges Lucas qui lui remettent la statuette dorée. La scène est inoubliable pour tout cinéphile, assistant ici à une réunion des derniers monstres sacrés d'Hollywood, ayant bouleversé à jamais le cinéma dès 1972. Le film remportera au final quatre Oscars dans une édition 2007 un peu faiblarde. Cette reconnaissance de l’Académie ne comblera cependant jamais l’amertume des fans qui l’aurait voulu voir récompenser son sombre Taxi Driver, son travail esthétique sur Raging Bull, l’authenticité de ses Affranchis ou la virtuosité de son Casino.

Ne ruminons pas nos regrets et célébrons la reconnaissance d’un nouveau travail de mise en scène excellent. Les Infiltrés est un film purement Scorsesien. Il l’est par son fond : les thèmes de prédilection du réalisateur sont présents  (trahison, quête de soi, personnages meurtris). Il l’est aussi par sa forme : la caméra virevolte avec élégance sur les chansons des Rolling Stones que Scorsese affectionne depuis plus de 30 ans. Le cinéphile en lui joue avec l’héritage des films de gangsters américains, parsemant dans l’ensemble du long métrage des croix dans le décor annonçant le destin funeste des personnages à la manière du Scarface de 1932.

La monteuse Thelma Schoonmaker, fidèle du réalisateur, est récompensée pour la troisième fois par un Oscar. Pendant deux heures, le récit de Scorsese est parfait par un montage maîtrisé à une époque où la mode est à l’épileptique. Mais le réalisateur décide d'allonger son film d'une demi-heure par rapport au film original. Malheureusement, cette dernière partie est le vrai défaut du film. En effet, le spectateur se perd dans des rembondissements vains dans lesquels les personnages agissent parfois contre toute logique.
 

Par sa direction d’acteurs, Scorsese les positionne à chaque fois en candidats sérieux aux récompenses. Avec les Infiltrés, il offre un Oscar de second rôle à Mark Walhberg qui suit ainsi les traces de Joe Pesci et De Niro quand il ne permet pas aux autres d’ajouter des Golden Globes sur leur cheminée.

En six ans, Martin Scorsese enchaîne trois films fleuves de plus de deux heures et demies sans jamais nous laisser sur le bord de la route. Ses talents de conteur hors-pair font de lui un des seuls cinéastes américains à être constamment au sommet de son art.

Note : ★★★★★★★★★☆ 8.5/10

Bande-annonce de "Les Infiltrés"


The Departed  (2006)

Réalisé par : Martin Scorsese
Ecrit par : William Monahan
Produit par : Graham King, Brad Pitt, Martin Scorsese
Avec : Leonardo DiCaprio, Matt Damon, Jack Nicholson et Mark Wahlberg
Directeur de la Photographie : Michael Ballhaus

Montage : Thelma Schoonmaker
Musique : Howard Shore
Durée : 2h30

Budget : 90,000,000 $
Box Office : 289,847,354
USA : 132,384,315 $
France : 1,888,737 entrées
 

The Aviator (2004) - ★★★★★★★★★☆ 9.5/10

Martin Scorsese réalise avec The Aviator un film de haut vol, fresque sur la vie extraordinaire d’Howard Hugues portée par un Leonardo DiCaprio ayant gagné en maturité.

Howard Hughes est un richissime homme d'affaires, passionné par les avions et le cinéma. Ambitieux et jouissant d’une fortune sans limite, il peut laisser libre cours à ses rêves. Il produit et réalise ainsi le film Les Anges de l'enfer dans lequel il investit des sommes colossales. Il devient rapidement une célébrité et entretient des relations tumultueuses avec les stars de cinéma de l'époque comme Katharine Hepburn et Ava Gardner. Avide de conquêtes, il engage un bras de fer avec la compagnie aérienne Pan Am, pour permettre à sa compagnie, la TWA, de pouvoir couvrir les lignes à l'international. Mais dans l'intimité, Howard Hughes souffre de multiples troubles obsessionnels compulsifs qui évoluent rapidement et le rongeront jusqu'à la fin de ses jours.













Leonardo DiCaprio livre une prestation parfaite, sachant aussi bien retranscrire les éclats de génie et les moments de joie de l’homme que ses crises de tics et ses dérives paranoïaques.

Depuis Gangs of New York, et sa fabrication mouvementée, Martin Scorsese a amorcé un nouveau tournant dans sa carrière. Son cinéma semble définitivement changer de dimension, tant par ses histoires que par les moyens dont il dispose pour les raconter. En somme, le réalisateur se dirige vers de nouveaux horizons, avec la même passion pour l’exploration que le protagoniste aérien de son nouveau film : The Aviator.

Après avoir longtemps peiné à trouver les financements pour ses projets, sacrifiant parfois son salaire sur l'autel de la passion pour son art, Martin Scorsese se voit accorder pour la deuxième fois en quatre ans un budget colossal de cent millions de dollars. Le réalisateur de Taxi Driver et les majors américaines semblent désormais s’accorder. Une aubaine pour le cinéaste fasciné depuis sa jeunesse par le studio system, déjà mort lors de son arrivée sur la planète cinéma à la fin des années 60, et qui semble désormais confortablement assis sur les collines d’Hollywood. Du studio system, où chaque studio était une usine à films en soi, apposant sa patte singulière aux long-métrages qui en sortaient, il en est question dans cette nouvelle production mettant en scène la vie extraordinaire de l’excentrique milliardaire, le premier de l’époque : Howard Hugues.

Mais comment dépeindre soixante-dix ans de la vie d’un homme de génie, véritable touche-à-tout ? En effet, Howard Hugues a laissé sa marque aussi bien dans le paysage cinématographique américain que dans l’immensité du ciel. Il a conquis aussi bien le désert du Nevada et sa cité du vice que les cœurs des plus belles actrices d’Hollywood. Tout raconter est impossible ; Clint Eastwood en a d'ailleurs récemment fait les frais avec son biopic qui ne fait que survoler l’existence non moins passionnante d’une autre figure de l’époque : J. Edgar Hoover. C’est pour cela que Scorsese choisit de se pencher sur une période précise de la vie de Hugues : celle plus optimiste allant de ses vingt ans jusqu’au début de sa quarantaine.







Obsessionnel, paranoïaque, tourmenté et malade, Hugues est aussi passionnant que sa vie et s’ajoute naturellement à la liste des personnages torturés du réalisateur de Raging Bull.

Martin Scorsese brosse le portrait d’une figure majeure de l’Amérique du XXème siècle dont l’existence légendaire, entre rumeurs et vérités, se réfère à celles des figures mythologiques de l’Antiquité. Riche comme Crésus, Howard Hugues peut tout se permettre, laissant plus souvent libre cours à ses passions qu’à ses caprices. Habité, cet homme est un conquérant des airs et de la terre, construisant son destin à coup de projets pharaoniques. Ainsi, il entreprend la production du plus grand avion jamais construit avec The Hercules dont le nom renvoie à nouveau à la volonté que son créateur a de se forger un destin exceptionnel.

Vivant la tête dans les étoiles, c’est tout naturellement qu’il se tourne vers Hollywood et son panel de stars qui fait rêver bon nombre de jeunes de l’époque. Souhaitant s’imposer dans la mecque du cinéma, il réalise ce qui deviendra le film le plus cher de l’époque : Hell’s Angels, avec lequel il souhaitait livrer le film d’aviation le plus spectaculaire jamais réalisé. Au cinéma aussi, la première passion de cet homme dicte ses choix.

Martin Scorsese évoque une autre dimension mythologique de la vie de Hugues, en convoquant une autre légende grecque : celle d’Icare. Enivré par les airs, seul espace où il se sentait en sécurité, Howard Hugues se brûla les ailes à de nombreuses reprises, échappant à chaque fois à la mort, cherchant sens cesse à battre des records dont il était parfois le détenteur. Défiant les limites de ses appareils, s’élevant trop dangereusement vers le soleil ou à trop grande vitesse vers l’horizon, son ambition démesurée lui causa bien des souffrances : les traumatismes crâniens et les brulures au troisième degré dont il fut l’objet vinrent l’enfermer de plus en plus dans sa paranoïa. La crainte de l’abandon, la phobie des microbes, la peur d’être espionné, sont autant de têtes à son hydre cauchemardesque qui finira par causer sa perte.


Depuis les années 2000, Martin Scorsese semble se diriger vers de nouveaux horizons, avec la même passion pour l’exploration que le protagoniste aérien de son film, Howard Hugues, dans The Aviator.

A ce jour, The Aviator reste mon film préféré de l’ère DiCaprio, sans doute à cause de cette figure insaisissable qui, ayant hérité d’une fortune qu’il augmenta considérablement, pût vivre le destin de pionnier de l’aviation, d’homme d’affaires à la main de fer, de réalisateur et producteur de cinéma ou encore de propriétaire de casinos. Obsessionnel, paranoïaque, tourmenté et malade, Hugues est aussi passionnant que sa vie et s’ajoute naturellement à la liste des personnages torturés du réalisateur de Raging Bull.

Dès la première scène, l’aviateur nous séduit par son charisme et DiCaprio n’y est pas pour rien. Ayant repris l’accent du Sud et le timbre de voix unique de l’excentrique milliardaire, l’acteur livre une prestation parfaite, sachant aussi bien retranscrire les éclats de génie et les moments de joie de l'homme que ses crises de tics et ses dérives paranoïaques. Tantôt fascinant, tantôt touchant, DiCaprio franchit un cap avec ce film et confirme sa place parmi les acteurs les plus talentueux de sa génération. L’Académie saluera d’ailleurs ce travail par une nouvelle nomination aux Oscars pour l’acteur de Titanic. Jamais lassé, je reste toujours abasourdi devant autant de maîtrise. Aucun plan n’est gratuit, chaque mouvement de caméra est justifié, toujours au service de l’histoire. Le réalisateur accorde à chacune des passions de Hugues la place qu’elle mérite, tissant entre elles des liens d’une élégance et d’une simplicité parfaites. La première partie du long métrage propose des images magnifiques, rappelant l’orangé et le bleuté des premiers films coloriés à même la pellicule.

Comme toujours, son travail de metteur en scène est prolongé par celui de Thelma Schoonmaker, monteuse attitrée du cinéaste, qui reçoit pour la deuxième fois un Oscar. En effet, elle saura traduire avec brio le rythme effréné de la vie d’Howard Hugues. Scorsese et Schoonmaker parviendront difficilement à structurer davantage le scénario de John Logan, seul reproche que l’on peut faire au film mais qui ne vient assombrir que d’une manière infinitésimale un film d’une maestria bluffante.

Les musiques des années folles et les compositions originales d’Howard Shore finissent de nous faire décoller pour un voyage cinématographique mêlant haute voltige et zones de turbulences avant de nous faire atterrir dans la zone des chefs d’œuvres dans laquelle Martin Scorsese se pose une nouvelle fois pour notre plus grand bonheur.

Note : ★★★★★★★★★☆ 9.5/10

Bande-annonce de "The Aviator"

The Aviator (2004)
Réalisé par
: Martin Scorsese

Ecrit par : John Logan
Produit par : Leonardo DiCaprio, Graham King, Michael Mann
Avec : Leonardo DiCaprio,  Cate Blanchett, Kate Beckinsale, Alec Baldwin

Directeur de la Photographie : Robert Richardson
Décorateur : Dante Ferretti
Montage : Thelma Schoonmaker
Musique : Howard Shore
Durée : 2h45

Budget : 110,000,000 $
Box Office : 213,741,459 $
USA : 102,610,330 $
France : 1,677,221 entrées

Gangs of New York (2002) - ★★★★★★★★★☆ 8,5/10

En ce début de siècle, Martin Scorsese frappe fort avec une épopée historique relatant les origines de sa ville natale : New York.

En 1846, le quartier de Five Points, un faubourg pauvre de New York, est le théâtre d'une guerre des gangs entre émigrants irlandais d'un côté, les Dead Rabbits menés par Père Vallon, et les Native Americans de l'autre, dirigés par le sanguinaire Bill le Boucher. Ce dernier met rapidement en déroute les Dead Rabbits en assassinant leur chef et prend par la même occasion le contrôle exclusif des rues de la "grosse pomme". Seize ans plus tard, le gang des Native Americans règne toujours en maître dans New York. Devenu adulte, Amsterdam Vallon souhaite venger la mort de son père en éliminant Bill. Mais sa rencontre avec Jenny Everdeane, une énigmatique pickpocket dont l'indépendance et la beauté le fascinent, va compliquer les choses...




Avec Gangs of New York, Martin Scorsese réalise enfin le film épique qu’il a toujours voulu faire.

Premier film de ce début de siècle, Gangs of New York marque un profond tournant dans la carrière de Martin Scorsese. La fin des années 90 fut difficile pour le réalisateur qui enchaîna deux échecs au box-office. La bonne nouvelle de cette décennie pour lui fut qu’il eut enfin le feu vert pour mettre en scène un projet dont il rêvait depuis le début des seventies : Gangs Of New York. La nouvelle influence de Leonardo Di Caprio, tout juste sorti de Titanic, permet au projet de se targuer d’avoir une star mondialement connu à son casting. Engager DiCaprio n’est pas seulement intéressé, c’est aussi le fruit des conseils de son acteur fétiche Robert De Niro qui, quelques années auparavant, lui avait dit de garder un œil sur ce jeune talent en devenir.


Avec Gangs of New York, Martin Scorsese nous dépeint une nouvelle vision de New York, sa ville natale dont il nous a brossé plusieurs portraits avec Mean Streets, Taxi Driver, Raging Bull ou encore A Tombeau Ouvert. Il réalise enfin le film épique qu’il a toujours voulu faire. Il prend comme références le savoir-faire des cinéastes bolcheviks et leurs fresques révolutionnaires. La séquence d’ouverture, où les Natifs et les Lapins Morts s’affrontent avec férocité, est magistralement orchestrée. Bien qu’on ne voit jamais une lame performer un corps, la violence est omniprésente par l’image saturée et saccadée ainsi que par un montage éclaté inspiré des cinéastes russes des années 20 tels Sergueï Eisenstein et son Cuirassé Potemkine. Cette maîtrise est à nouveau remarquée par l’Académie qui nomme pour la quatrième fois, et à chaque fois avec Scorsese, Thelma Schoonmaker à l’Oscar du montage.



Dans ce monde haut en couleurs, les personnages le sont tout autant, à commencer par Bill le Boucher, interprété par Daniel Day-Lewis qui compose ici un méchant terrifiant.

Scorsese s’intéresse ici aux fondations de l’Amérique, et en particulier à celles de New York qui en est le plus bel échantillon de la période. Après avoir mis en scène la haute société de la même époque dans Le Temps de l’Innocence, le réalisateur des Affranchis met en avant le mode de vie dominant de la période où les New Yorkais vivaient dans la crasse et les ordures, partagés en tribus, allant des Natifs jusqu’aux Chinois, en passant par les travestis, et divisés dans leurs convictions pendant la guerre de Sécession qui fait rage.


Dans ce monde haut en couleurs, les personnages le sont tout autant, à commencer par Bill le Boucher, que devait interpréter De Niro, rôle finalement revenu à Daniel Day-Lewis que Scorsese a sortie de sa retraite et qui compose ici un méchant terrifiant. Si De Niro a dû décliner l’offre de son camarade, le réalisateur fait la connaissance de son nouvel acteur fétiche : Leonardo DiCaprio, qui rêvait de travailler avec Scorsese. Le réalisateur lui offre son premier rôle de personnage blessé et l’intégre ainsi pleinement dans sa filmographie où les cicatrices de la vie sont légions pour ses personnages. Gangs of New York offre d’ailleurs une scène de mise à nue dans laquelle Amsterdam expose ses balafres, ultimes signes des tourments éprouvés. Notre héros se perdra en route, hésitant entre admiration et vengeance. Certains reprocheront à DiCaprio une interprétation jugée fade mais que je qualifierai plutôt juste et sobre, contrepartie nécessaire à l’existence d’un personnage aussi extravagant que Bill le Boucher.





Une nouvelle fois, la réalisation de Scorsese est parfaitement maitrisée confirmant à nouveau son statut de maître absolu des images.

Une nouvelle fois, la réalisation de Scorsese est parfaitement maitrisée, confirmant à nouveau son statut de maître absolu des images. Lors d’un plan séquence magistral d’une minute aussi explicite qu’un monologue du narrateur, Scorsese dépeint le sort inévitable de beaucoup d’hommes émigrés irlandais. A peine ont-ils le temps de mettre pied à terre, qu’ils sont accablés par les demandes de l’Oncle Sam qui leur promet repas chaud et monnaie sonnante et trébuchante sous réserve de devenir citoyen américain et d’aller se battre pour l’Union. La caméra se déplace de poste en poste : un irlandais débarque, un autre s’engage, on distribue les fusils à un autre qui monte dans un navire, croisant sur son passage le cercueil d’un de ses semblables.
Un conteur par l’image récompensé par une énième nomination aux oscars ; mais la statuette dorée lui file encore sous le nez. Scorsese recevra cependant le Golden Globe du meilleur réalisateur pour son travail.

En ce début de siècle, Scorsese signe un film monumental et oriente sa carrière dans une nouvelle direction comme le confirmera The Aviator. La sortie de Gangs of New York sera à de nombreuses reprises repoussée, notamment à cause des évènements du 11 septembre où l’heure n’était pas à la (re)découverte des racines violentes de l’Amérique. Lors de la scène finale et ses fondus présentant l’évolution de la ville, le réalisateur conservera les deux tours dans le paysage, confiant par la suite avoir fait un film en hommage à ceux qui avaient construit New York, pas à ceux qui l’avait détruit.

Note : ★★★★★★★★★☆ 8,5/10

Bande-annonce de "Gangs of New York"

Gangs of New York  (2002)
Réalisé par : Martin Scorsese
Ecrit par : Jay Cocks
Produit par : Martin Scorsese et Alberto Grimaldi
Avec : Leonardo DiCaprio, Daniel Day-Lewis, Cameron Diaz
Directeur de la Photographie : Michael Ballhaus
Décorateur : Dante Ferretti
Montage : Thelma Schoonmaker
Musique : Howard Shore
Durée : 2h45

Budget : 100,000,000 $
Box Office :  197,772,504 $
USA : 77,812,000 $
France : 2,144,337 entrées

16/09/2012

Once Upon A Time in Mexico (2003) - Le pistolero manque sa cible ! ★★★☆☆☆☆☆☆☆ 3/10

Avec Once Upon a Time in Mexico, ultime volet de la saga sur le musicien à l’étui à guitare explosif, Robert Rodriguez signe un film tout en fausses notes et ce, pour notre plus grand regret.

Hanté par la perte de celle qu’il aimait, Carolina, le Mariachi s'est retiré pour mener une existence solitaire. Il vit désormais loin du monde, avec sa guitare comme seule compagne. Un jour, Sands, un agent corrompu de la CIA, le sort de sa retraite et lui demande d'empêcher l'assassinat du Président du Mexique. Barillo, un baron de la drogue, ambitionne en effet de renverser ce dernier. Le hasard fait bien les choses : celui qui a meurtri l'existence tourmentée du Mariachi, le général Marquez, est impliqué dans ce plan visant à tuer le Président Mexicain. Animé d'un grand désir de vengeance, il va, avec ses deux comparses Lorenzo et Fideo, raviver sa flamboyante légende...


Au lieu de se focaliser sur le personnage d’Antonio Banderas et son bagou qui avait fait le succès de Desperado, Robert Rodriguez se perd dans une intrigue politique confuse.

Onze années ont passé depuis que Rodriguez déboula à Hollywood avec sa cassette d’El Mariachi sous le bras et s’établit comme une des figures de proue du cinéma indépendant fun des années 90, aux côtés de son ami Quentin Tarantino. En 2003, Rodriguez peut laisser pleinement cours à son imagination. Les succès de ses films bon marché mais surtout la réussite spectaculaire au box-office de sa trilogie familiale sur des enfants espions, Spy Kids, qui rapporta plus de 460 millions de dollars pour une mise de 110 millions, lui permettent de jouir d’une marge de manœuvre incroyable pour un réalisateur indépendant. Il agrandit ainsi ses Troublemakers Studios (littéralement « Les Studios des Fauteurs de Troubles ») et entame la préparation de l’ultime volet de sa trilogie de l’homme à la guitare qui écornera l’image du Mariachi.

Le film démarre pourtant bien. A l’instar du précédent opus, le long métrage commence par une histoire romancée et exagérée à propos du celui qu’on appelle désormais « El ». Ce prologue à tout pour nous ravir : la mise en scène cartoonesque du réalisateur est présente, le second dégré fait son retour, un nouveau pan de la mythologie du Mariachi est dévoilé et Rodriguez soigne son image. Celui qui narre la légende s’adresse à un Johnny Depp dont le double jeu du personnage est présenté avec humour dès cette scène d’ouverture. Son personnage, qui bénéficie d’une personnalité plus fouillée que ceux qui l’entourent, deviendra d’ailleurs le véritable protagoniste de ce nouvel épisode. Même le Mariachi est relégué au second plan. Pourtant c’est ce dernier qui avait ravi les fans du premier film. Sans passé clairement défini et sans véritable identité, il est le nouvel « Homme Sans Nom » qu’incarnait Clint Eastwood dans la « Trilogie du Dollar » de Sergio Leone (de Pour une Poignée de Dollars au Bon, La Brute et le Truand). Seulement, ce héros a désormais pour terre le désert mexicain. Cette référence au maitre du western italien, qui signa également le classique Il Etait Une fois Dans l’Ouest et l’envoûtant Il Etait Une Fois en Amérique, est poussée à son paroxysme par Rodriguez qui choisit d’intituler son film : Il Etait Une fois Au Mexique, sur les conseils de son ami Tarantino. Comment comprendre alors une telle relégation du personnage à l’arrière-plan ?

Rodriguez avait toujours réussi à nous proposer un bon cinéma de genre, sans jamais basculer dans les séries Z qu’il aimait voir étant adolescent. Mais ici, on n’a l’impression de visionner un mauvais direct-to-dvd.

Au lieu de se focaliser sur le personnage d’Antonio Banderas et son bagou qui avait fait le succès de Desperado, Robert Rodriguez se perd dans une intrigue politique confuse. Sous ses airs de divertissement, Once Upon A Time In Mexico évoque des thèmes intéressants comme le droit de non-ingérence, dénonçant les actions douteuses d’une CIA, dans une atmosphère de coup d’Etat, se référant au passé (et présent) agité de l’Amérique Latine. Tout cela est fait sans lourdeur car il est peu probable que Rodriguez ait voulu signer, avec cet ultime volet de la saga du Mariachi, un film politique. Pourtant le réalisateur d’Une Nuit en Enfer, a toujours voulu présenter un visage différent des mexicains aux conservateurs américains paranoïaques. Il le fait parfois avec humour, en tournant en ridicule les trafics au niveau du mur-frontière séparant le Mexique et les Etats-Unis et ses partisans dans Machete. Cet autre visage, il le façonne en créant des figures héroïques pour un public hispano-américain souvent oublié par Hollywood ; public qui commence lui-même à croire qu’il est le peuple que les médias amalgament avec les piètres représentants de cette population qui dominent la rubrique des faits divers à grand coups de violence.

Les mexicains pâtissent de l'image brutale que les narco-traficants véhiculent dans l'opinion publique américaine! Alors pourquoi Rodriguez ne dépeint pas les cartels de la drogue présents dans le film avec autant de sauvagerie qu’Oliver Stone dans Savages, sortie récemment? Ce n’est pas une question de censure vu que le film est classé Restricted sur le sol américain (les mineurs de 17 ans et moins doivent être accompagnés d’un adulte). Au lieu de ça, le réalisateur nous propose un panel de personnages sans profondeur. Le personnage de Wilhem Dafoe est digne d'un chef mafieux de série Z quand il ne se mue pas en momie de pacotille. Et c’est ça le problème ! Rodriguez avait toujours réussi à nous proposer un bon cinéma de genre, sans jamais basculer dans les séries Z qu’il aimait voir étant adolescent. Mais ici, on n’a l’impression de visionner un mauvais direct-to-dvd.

Once Upon a Time in Mexico, la fin de Rodriguez ? Non, heureusement pour nous ! Planet Terror est dans les cartons et Sin City en route vers nos cinémas avec lesquels Rodriguez saura nous séduire à nouveau.

Certes Robert Rodriguez dut surmonter certains obstacles qui ont peut-être dénaturé son film. En effet, Salma Hayek ne put occuper une place aussi importante que dans l’opus précédent, accaparée par la réalisation de son Frida et de sa participation à Bandidas. Rodriguez dut reléguer son personnage au rang des fantômes venant tourmenter notre vigilante mexicain. De plus, une grève des acteurs était sur le point d’exploser à Hollywood et Rodriguez devait lancer le projet rapidement. Mais le réalisateur a toujours su travailler dans l’urgence, résolvant ses problèmes à grands coups d’inventivité. Et les défauts du film ne sont sûrement pas à imputer entièrement à ces embûches qui rythment la vie de bon nombre de productions et qui ne peuvent servir d’excuses vis-à-vis d’un public qui n’a pas à en pâtir.

L’inventivité visuelle de Rodriguez ne se manifeste que par intermittence : l’image chaude, qui était une de ses signatures, est majoritairement remplacée par les couleurs fades et laides de son numérique, caractéristiques des nanars de l’ère post-celluiloïde. C'est ce dont souffrira également Machete. Once Upon a Time in Mexico, la fin de Rodriguez ? Non, heureusement pour nous ! Planet Terror est dans les cartons et Sin City en route vers nos cinémas, avec lesquels Rodriguez saura nous séduire à nouveau.

Note : ★★★☆☆☆☆☆☆☆ 3/10

"Bande annonce "Once Upon a Time in Mexico"

Once Upon a Time in Mexico (2003)
Ecrit, Produit et Réalisé par : Robert Rodriguez
Produit par : Elizabeth Avellan, Carlos Gallardo
Avec : Antonio Banderas, Johnny Depp, Eva Mendes, Wilhem Dafoe, Michey Rourke, Salma Hayek, Danny Trejo et Cheech Marin.
Directeur de la Photographie : Robert Rodriguez
Monteur : Robert Rodriguez
Durée : 1h45
Budget : 29,000,000 $
Box Office : 98,185,582 $
(USA) : 56 359 780 $
France : 452 626 entrées

From Dusk Till Dawn (Une Nuit en Enfer - 1996) - Vision d’horreur du crépuscule jusqu’à l’aube ! - ★★★★★★★☆☆☆ 7.5

Quand Robert Rodriguez et Quentin Tarantino collaborent qu’obtient-on ? Un film d’exploitation complètement barré où gore et humour y sont parfaitement dosés.

Richard Gecko après avoir aidé son frère Seth à s'échapper de prison entame avec lui une cavale sanglante au cours de laquelle ils braquent une banque et tuent plusieurs personnes. Cherchant à gagner le Mexique, ils prennent une famille en otage. Cachés dans leur camping-car, ils parviennent à passer la frontière et attendent leur contact Carlos qui leur a fixé rendez-vous dans un bar de routiers, le Titty Twister. Mais ils ignorent qu'ils s'apprètent à vivre un enfer du crépuscule jusqu'à l'aube.


Cette histoire de vampire est à l’image de son auteur Tarantino : délirante.

Après Pulp Fiction et sa palme d’or, Quentin Tarantino s’autorise une pause pendant laquelle il peaufine le scénario d’Une Nuit en Enfer (From Dusk Till Dawn en version originale) qu’il avait écrit dans l’arrière-boutique du magasin de location vidéo californien Video Archives alors qu’il n’était qu’un simple employé. Il en profite également pour assouvir sa passion pour la comédie sous la direction de son ami Robert Rodriguez, ravie d’enchaîner Desperado avec cette histoire de vampire à l’image de son auteur : délirante.

L’identité du scénariste, avec son sens aigu des dialogues, se révèle dès les premières minutes du film. Pas de doute, Quentin Tarantino tient la plume. Les fans du réalisateur y trouvent leur compte : des répliques cultes qui sacrent George Clooney en nouveau héros badass après ses années Urgences ; les personnages fument les mêmes cigarettes que ceux de Pulp Fiction, les Red Apples inventée par Tarantino ; ils dévorent des hamburgers de la chaine imaginaire Big Kahuna. Le Texas Ranger Earl McGraw, figure récurrente de son cinéma est ici introduit pour la première fois et sera de retour dans Kill Bill. Malgré une première partie très tarantinesque, c’est bien le réalisateur de Sin City qui est aux commandes : l’image chaude de Desperado, Cheech Marin, Salma Hayek et Danny Trejo sont de retour.

Jouer dans Une Nuit en Enfer est l’occasion pour Quentin Tarantino de tenir le rôle le plus conséquent de sa carrière : celui de Richard Gecko. De nombreuses critiques lui seront adressées pourtant, sa performance en tant qu’obsédé sexuel et tireur à la gâchette facile, est plus que convaincante. Les échanges entre les deux frangins sont savoureux et confirment la cool attitude de Clooney, grand gagnant du film.

Le sens du montage de Rodriguez, les premières altercations savoureuses entre les clients et la danse hypnotisante de la bomba latina Salma Hayek nous donneraient presque envie de devenir des clients réguliers du bar.

L’arrivée dans le bar Titty Twister fait figure de séparation entre les deux grandes parties du film : c’est maintenant au tour de Rodriguez de s’amuser. Le plan séquence parfaitement  maitrisé du réalisateur nous présentant le bar sur les riffs de Tito et Tarantula, son sens du montage, les premières altercations savoureuses entre les clients et la danse hypnotisante de la bomba latina Salma Hayek nous donneraient presque envie de devenir des clients réguliers. C’était sans compter sur un staff un poil sur les dents. Après avoir séduit tout le bar, Salma Hayek se métamorphose en reine des buveurs de sang.

C’est parti, le carnage peut commencer. La quasi-totalité de la clientèle est exterminée en quelques minutes et se constitue alors un petit groupe de survivants dont nos héros font partie. Leur seul but : survivre pendant cette nuit d’enfer !

Rodriguez s’en donne à cœur joie et recourt aux effets spéciaux d’antan : ceux d’une époque où les monstres animatronics et les masques de silicone étaient rois et le morphing n’en était qu’à ses prémices. Comme le montre la scène de préparation avant l’assaut final, Rodriguez s’amuse, et nous avec ! On empale du vampire certes, mais tout ça avec style : les personnages balancent des punchlines et chaque meurtre relève d’inventivité pour notre plus grand plaisir.




On empale du vampire certes, mais tout ça avec style : les personnages balancent des punchlines et chaque meurtre relève d’inventivité pour notre plus grand plaisir.

Avec Une Nuit en Enfer, les deux tarés du cinéma américain rendent un premier hommage au cinéma d’exploitation qui les a bercé pendant leur enfance et offrent un film complètement barré annonçant le trip Grindhouse. Robert Rodriguez et Quentin Tarantino avouent eux-mêmes avoir cherché à nous faire rire, comme le souligne le dernier plan du film, plutôt qu’à nous effrayer et c’est réussi !

Note : ★★★★★★★☆☆☆ 7.5/10

Bande annonce de "Une Nuit en Enfer"

From Dusk Till Dawn (1996)
Titre Français : Une Nuit en Enfer
Réalisé par : Robert Rodriguez
Produit par : Robert Rodriguez, Lawrence Bender, Elizabeth Avellan                                                    
Ecrit par : Quentin Tarantino
Avec : Georges Clooney, Quentin Tarantino
Harvey Keitel, Juliett Lewis
Budget : 19 000 000 $

Box Office : 59 336 616 $
(USA) : 25 836 616 $
France : 677 411 entrées

Desperado (1995) - Le mariachi a plus d'une corde à sa guitare! - ★★★★★★★☆☆☆ 7/10

Deux années après El Mariachi, Robert Rodriguez poursuit sa saga du musicien à l’étui à guitare débordant de gros calibres et nous livre un opus explosif et inventif.

Au nord du Mexique, un guitariste à la gachette facile et à l'étui à guitare bien particulier, parcourt le pays pour venger sa bien-aimée, abattue par un puissant trafiquant de drogue. Sa route est jonchée des cadavres de ceux qui ont tenté de l'arrêter ou n'ont pas répondu à ses questions.













Avec Desperado, Robert Rodriguez ajoute une nouvelle figure dans la culture populaire latine contemporaine : celle singulière d’un musicien jouant ses partitions à coups de canons sciés.

Les choses ont changé pour Rodriguez depuis 1992, année où il changea la donne dans le cinéma indépendant avec El Mariachi qui donna ses lettres de noblesses au système D. Il dispose pour cette nouvelle aventure d’un budget de 7 millions de dollars, soit 1000 fois plus élevé que pour le film précédent mais ne représentant qu’à peine le quart des budgets de films d’actions de l’époque. Robert Rodriguez sait que c’est en recourant à l’inventivité plutôt qu’au portefeuille qu’il conservera sa liberté. Mais pas question pour autant de lésiner sur le spectacle. Avec Desperado, Robert Rodriguez ajoute une nouvelle figure dans la culture populaire latine contemporaine : celle singulière d’un musicien jouant ses partitions à coups de canons sciés.

Desperado est l’occasion pour le mariachi de changer de visage. Robert Rodriguez démarche l’acteur espagnol Antonio Banderas pour prêter ses traits au personnage, précédemment interprété par son ami Carlos qui vient tout de même prêter main forte au musicien à l’étui explosif lors d’une scène déjantée. L’acteur ibérique passe de l’univers d’Almodovar au sol aride mexicain avec une aisance parfaite. Son charme ravageur est tout de suite repéré par Hollywood, qui lui offrira deux ans plus tard un autre rôle de vigilante, celui du légendaire justicier latino masqué dans le Masque de Zorro.








Dans son univers déjanté, les coups d’un fusil à double canon propulsent les bad guys à 15 pieds de haut et les armes à feu sont calquées sur les parties génitales masculines.

Légendaire, son mariachi est sur le point de le devenir aussi. Dès la scène d’ouverture, Robert Rodriguez est bien décidé à sortir l’artillerie lourde sans pour autant se prendre au sérieux. Dans cette dernière, le personnage de Steve Buscemi (Le Mr Pink de Reservoir Dogs parti se réfugier au Mexique ?) associé au vigilante latino lui taille la réputation du plus grand (et dangereux) mexicain ayant jamais existé (Machete est encore inconnu à l’époque). Le réalisateur s’amuse dès la première minute, et nous avec.

Desperado est l’occasion pour Robert Rodriguez de dévoiler son univers latino barré aux yeux du monde ; un univers où les acteurs latinos ont la part belle : le réalisateur n’offre pas qu’un aller simple à Antonio Banderas pour Hollywood mais révèle aussi Salma Hayek (Bandidas), que l’on reverra d’ailleurs dans Une Nuit en Enfer et permettra à Danny Trejo de jouer les bad guys à la mecque du cinéma avant de décrocher son premier rôle à 60 ans dans Machete du même Rodriguez.

Dans son univers déjanté, les coups d’un fusil à double canon propulsent les bad guys à 15 pieds de haut, les armes à feu sont calquées sur les parties génitales masculines et les riffs de guitares rythment les péripéties des personnages sous un soleil de plomb. Le monde de Rodriguez se présente comme un cousin de celui de Tarantino, le réalisateur offrant d’ailleurs à ce dernier un petit rôle hilarant annonçant leurs collaborations à venir.

Desperado avec sa mise en scène maîtrisée et efficace réjouira les amateurs de films fun et déjantés. Mais si ce film explosif et gorgé d’humour fonctionne, c’est avant tout grâce à l’inventivité et l’identité de son réalisateur qui lui donne son aspect singulier, se démarquant ainsi d’un film d’action classique. On regrettera juste l’absence d’un grand final à imputer au manque de moyens dont disposait Rodriguez.











Si ce film explosif gorgé d’humour fonctionne, c’est avant tout grâce à l’inventivité et l’identité de son réalisateur qui lui donne son aspect singulier, se démarquant ainsi d’un film d’action classique.

Sa mission achevée, le vigilante mexicain quitte la ville son étui à la main mais est rattrapé par Carolina au volant de son 4x4. Avant de grimper dans le véhicule, le mariachi abandonne un moment sa guitare sur le bord de la route avant de faire demi-tour pour la récupérer car, tout comme Carolina, Rodriguez sait que ce personnage-là, il ne faut pas le laisser filer…

Note : ★★★★★★★☆☆☆ 7/10

Bande annonce "Desperado"

Desperado (1995)
Ecrit, Produit et Réalisé par : Robert Rodriguez
Produit par : Elizabeth Avellan
Avec : Antonio Banderas, Salma Hayek, Steve Buscemi, Cheech Marin et Quentin Tarantino.
Durée : 1h40
Budget : 7 000 000 $
Box Office (USA) : 25 405 445 $

15/09/2012

Casino (1995) : "Rien ne va plus!" - ★★★★★★★★★☆ 9.5/10

Avec Casino, Scorsese réalise un film presque parfait. Cette épopée inspirée d'une histoire vraie dans le Las Vegas mafieux des seventies, confirme une enième fois le talent du réalisateur virtuose qui signe là un nouveau classique des films de gangsters.

Sam Rothstein faisant de l'or avec tout ce qu'il touche, la Mafia le place donc à la tête d'un des plus beaux casinos de Las Vegas. Dans les années 70, Le Tangiers est l'un des casinos les plus prospères de la ville et Sam est devenu le grand manitou de Sin City, secondé par son ami d'enfance : Nicky Santoro. Mais il se laisse un jour séduire par une virtuose de l'arnaque d'une insolente beauté : Ginger McKenna. Amoureux, il lui ouvre les portes de son paradis et l'épouse. Ses ennuis commencent alors...


Le spectateur s’apprête à pénétrer dans un monde où trahisons et éliminations sommaires sont les seuls mots d’ordre.

"Un film pour eux, un film pour moi ». Cette formule du réalisateur Martin Scorsese témoigne des obligations que peuvent parfois rencontrer les réalisateurs face au système.
Casino est un de ces films « pour eux », pour les studios hollywoodiens régnant en maîtres sur la planète cinéma américaine. Devant un film à Universal, Martin Scorsese se lance dans un nouveau film de gangsters. Un film de commande certes, mais de Scorsese tout de même qui réunit une seconde fois l’équipe gagnante des Affranchis dont le studio américain cherche à réitérer le succès. Avec Casino, le réalisateur de Taxi Driver signe l’ultime volet de sa trilogie sur la mafia italo-américaine initiée avec Mean Streets vingt ans auparavant.

Le film commence, De Niro pousse pour la huitième fois la porte de l’univers scorsesien. Vêtu d’un costard aux couleurs criardes, il se dirige vers sa belle américaine. Sa voix off, marquée par l’âge, évoque, par une expérience malheureuse, un des thèmes majeurs du film : la trahison. Il s’installe au volant et met le contact entraînant l’explosion de son véhicule piégé. Le spectateur sait alors qu’il s’apprête à pénétrer dans un monde où trahisons et éliminations sommaires sont les seuls mots d’ordres.
De Niro, expulsé du véhicule, s’envole sur un générique religieux porté par l’air de Mathaus Passion. Le générique schématise le film à lui tout seul : un homme sera propulsé au sommet dans le monde de Las Vegas, un monde haut en couleurs que confirment les néons du générique, avant de chuter inévitablement dans les flammes qui se dessinent à mesure que le nom du réalisateur s’affiche à l’écran. Le message est clair : Las Vegas c’est l’enfer, renforçant ainsi la dimension sacrée du générique.




La caméra de Scorsese est constamment en mouvement, suivant un monde où l’arrêt est synonyme de mort.

Les quarante-cinq premières minutes sont quasiment documentaires. On y découvre les coulisses qui, contrairement aux reportages ordinaires, s’étendent jusqu’au désert avec ses trous « où de nombreux secrets y sont enterrés » et où les politiciens sont aux mains de la mafia comme nous l’informe un Joe Pesci, aussi terrifiant que dans les Affranchis.

Les présentations se font, celles de ceux qui semblent diriger et ceux qui tirent réellement les ficelles dans l’arrière-boutique (d’une épicerie italienne) où les caïds se réunissent autour d’une table qui, éclairée par Scorsese, évoque clairement les Dieux de l’Olympe renforçant l’opposition sacré/profane de ce début de film. Las Vegas est, selon leurs propres témoignages, la ville qui lave les personnages de leur pêchés, un comble pour cette ville qu’on appelle la cité du vice. Les acteurs portent leurs racines sur leurs visages. On sent que tout est authentique, authenticité qui passe par les détails comme les plats et les reproches à son fils que nous concocte une petite mamie qui fera sourire les fans, reconnaissant en elle les traits de la mère de Scorsese.

Cette première heure est magistrale et Scorsese prouve avec autant de brio que dans Raging Bull qu’il est un véritable maestro de l’image. Les cinéphiles sont aux anges. Les images parlent d’elles-mêmes, merveilleusement assemblées par Thelma Schoonmaker, nommée à l’Oscar pour ce film. La caméra est constamment en mouvement, suivant un monde où l’arrêt est synonyme de mort, au sens propre (le désert borde la ville) comme au sens figuré (dépassé par la concurrence). Chaque cadrage, chaque mouvement de caméra, vient compléter la voix off ; en faisant attention, la hiérarchie des personnages est perceptible, même le son coupé, comme le prouve la plongée totale sur De Niro arpentant les allées du casino, veillant au grain, qui l’installe définitivement comme l’œil qui voit tout ou encore la fluidité du plan séquence à la steady cam témoignant de l’aisance de la mafia à piquer dans les caisses des établissements de Vegas.

La présentation de De Niro s’achève sur un gros plan sur son visage. S’ensuit deux dés qui remplissent l’écran. De Niro relance, au prochain de jouer !

La reine Sharon Stone entre en piste, séduisant De Niro à l'instant même où il pose les yeux sur elle : « Quelle dégaine ! ». Après une scène de négociation de mariage gênante, le spectateur sait que ce parieur hors pair joue un coup extrêmement risqué. L'actrice sera récompensée par un Golden Globe, mais son personnage, que le spectateur ne peut que détester, ralentira quelque peu le dernier acte du film par ses trahisons à répétition.
Au tour de Joe Pesci, qui annonce à De Niro lors d’une virée en voiture dans la ville du vice qui reflète ses tentations et néons sur le pare-brise, que lui aussi, veut sa part du gâteau.
Tout le film est à l’image de ces séquences : parfaitement maîtrisé du début à la fin.



L'argent coule à flots, les belles filles défilent et De Niro a la classe mais Scorsese nous rappelle la dangerosité des lieux avec autant d’impact que les nombreux crochets que Joe Pesci assène tout au long du film.

Comme pour les Affranchis, Scorsese recourt à la voix off, ce que certains verront comme une répétition signe d’un manque d’inspiration. Mais Casino en est le grand frère, plus ambitieux, complexe et plus épique, confirmé par le choix de Scorsese d’utiliser le format Cinemascope, format par excellence des grandes épopées. Pourtant cette voix off est ici plus envahissante : on nous apostrophe, on se confie et tout le monde y va de son commentaire. Les paroles fusent tellement, que dans le dernier acte du film où le château de cartes s’effondre, il est presque difficile de les comprendre et c’est ce que veut Scorsese, transmettre le sentiment de chaos par les mots, on ne se retient pas, on pourrait sans le savoir prononcer ses dernières paroles.

L’argent coule à flots, les belles filles défilent et De Niro a la classe mais Scorsese nous rappelle la dangerosité des lieux avec autant d’impact que les nombreux crochets que Joe Pesci assène tout au long du film. Lors d’une séquence mémorable, il dévoile son vrai visage en moins de deux secondes, massacrant à coup de stylo dans la trachée un homme aussi grand que lui est minuscule. Maniant le contre point parfaitement, Scorsese couvre les gémissements de cet homme par un morceau des Rolling Stones. Ici, pas question de magnifier la violence. Tous ses degrés y passent : de celle dissimulée à celle la plus nue, présente dans les scènes de l’étau et des assassinats à coup de battes de base-ball qui resteront imprimées sur la rétine des spectateurs. Il est du devoir de Scorsese, sans se poser en moraliste, d’exposer clairement le revers d’une médaille qui semblait au premier abord totalement étincelante. Mais la coke, le fric et l’ego viendront détruire « le paradis sur terre » que nous présentait De Niro au début du film.

A la fin des deux heures quarante-cinq que dure le film, le talent de Scorsese est indéniable et réussit brillamment là on beaucoup se seraient noyés dans les centaines d’heures de prises, les dizaines de chansons qui s’enchaînent ici parfaitement et les dialogues récités à la mitraillette. Le film passe à toute vitesse, porté par l’enthousiasme de Scorsese à raconter son histoire et à sa maitrise du récit filmique. C’est en se disant que c’est déjà terminé que le spectateur fait le plus beau compliment à Scorsese, félicitant sans le savoir les talents de conteur du cinéaste italo-américain.

Note : ★★★★★★★★★☆ 9.5/10

Bande-annonce de "Casino"

Casino (1995)

Réalisé par : Martin Scorsese
Ecrit par : Martin Scorsese et Nicholas Pileggi
Produit par : Barbara De Fina et Joseph P. Reidy
Avec : Robert De Niro, Joe Pesci, Sharon Stone et James Wood
Directeur de la Photographie : Robert Richardson
Décorateur : Dante Ferretti
Montage : Thelma Schoonmaker

Durée : 2h45
Budget : 52,000,000 $
Box Office : 116 112 375   $
USA : 42,512,375 $
France : 1 657 903 entrées

Raging Bull (1980) - ★★★★★★★★★ 10/10

Avec Raging Bull, Martin Scorsese signe un film magnifique. Chef d’œuvre majeur du cinéma américain, il sacre le réalisateur comme un des meilleurs cinéastes n’ayant jamais existé.

Raging Bull retrace la vie du boxeur américain d’origine italienne, Jake LaMotta. Surnommé « le Taureau du Bronx », il atteint les sommets grâce à des combats mythiques contre Sugar Ray Robinson et Marcel Cerdan qui le mèneront au titre de champion du monde des poids moyens. Mais la violence continue, même une fois le combat terminé. A coups de poing et de mots, les personnages finissent par se détruire les uns les autres.




Quatrième collaboration entre les deux hommes, Raging Bull reste leur plus beau film à ce jour.

Raging Bull
, nous le devons à l’entêtement de Robert De Niro qui passa près de cinq années à convaincre son ami Martin Scorsese de diriger le film. Mais le réalisateur, avant même Taxi Driver, ne se sent pas touché par la descente aux enfers du boxeur Jack LaMotta, qui a connu la gloire dans les années quarante. Car le sport, Martin Scorsese n’y connait rien. Asmathique depuis l’enfance, il vécut ses premières années à la fenêtre de son appartement sur Elisabeth Street, regardant ses amis jouer dans les rues de la Little Italy. La boxe, il ne connaissait que celle du vendredi soir à la télévision qui réunissait son père et ses amis devant le minuscule écran des premières télévisions.

Après son New York, New York tourné en 1977 et son échec cuisant au box-office, Martin Scorsese doute de son talent de metteur en scène, entrant dans une spirale destructrice entre dépression et overdose de cocaïne. Cette descente aux enfers le conduira à l’hôpital. Souffrant d’une hémorragie interne, il échappe de peu à la mort en novembre 1978. L’acteur du Parrain II lui rend visite sur son lit d’hôpital, l'interrogeant sur sa volonté de poursuivre les préparations de Raging Bull. Après l’expérience malheureuse par laquelle est passé le réalisateur, ce dernier s’identifie davantage au boxeur Jack LaMotta et accepte de diriger le film. L’opiniâtreté de l’acteur a payé, nous offrant, à l'occasion de leur quatrième collaboration, leur plus beau film à ce jour.



« Peu importe ce que tu fais, peu importe le talent que tu crois avoir, il y a toujours Martin Scorsese… » Brian de Palma

Dès les premières secondes, le spectateur sait qu’il s’apprête à visionner un film magnifique. Le générique, saisissant, présente Robert De Niro déambulant au ralenti sur le ring, se déplaçant avec la majestuosité d’un fauve en cage. Ici les cordes font office de barreaux, établissant d’emblée le caractère animal du personnage. Plus tard, dans une autre cage, sa cellule de prison, le personnage de De Niro explicitera cette condition de laquelle il veut se détacher : « I’m not an animal » répétera-t-il, effondré. Sur ce ring, Robert De Niro est seul et c’est cela dont veut traiter le film. Malgré le prestige de certains boxeurs qu’il affrontera, c’est d’abord contre lui seul que se battra Jake La Motta : se punissant lui-même de certaines de ses actions dans lesquelles il ne percevait plus clairement les délimitations du ring. Car, dans la vie de cet homme, l’arène est partout. De la cuisine à la chambre à coucher, quand ce n’est pas avec les poings que Jake frappe, ce sont ses mots qui sont aussi percutants que ses uppercuts.

D’un noir et blanc éclatant et porté par l’air magnifique de Cavalleria Rusticana, le générique est aussi féroce que le boxeur lui-même aux yeux des réalisateurs qui sévissent à l’époque. Le réalisateur de Scarface, Brian de Palma, préparant ce qu'il considérait à l’époque comme son meilleur film, Blow Out, s’assit dans la salle de cinéma, assistant à la projection du nouveau film de son ami et s’exclama : « Peu importe ce que tu fais, peu importe le talent que tu penses avoir, il y a toujours Martin Scorsese… ».


Cette figure de boxeur ancre définitivement Robert De Niro dans la mythologie hollywoodienne, qui remporte l’Oscar pour son dévouement au personnage.

Alfred Hitchcock répondait à ceux accusant le manque de vérité de ses films, qu’il ne faisait non pas des tranches de vies mais des tranches de gâteau. Entendez, des histoires divertissantes. Ici, Martin Scorsese nous offre une véritable tranche de vie. Raging Bull fait partie de ses films, tout comme Mean Streets et Les Affranchis, criant de vérité. L’alchimie entre les acteurs est flagrante et témoigne d’une connaissance parfaite des comédiens pour les personnes qu’ils interprètent, quand ce n’est pas des figures authentiques de la vie du réalisateur de Taxi Driver qui apparaissent à l’écran.

Martin Scorsese voulait au départ faire un film de boxe sans aucune scène sur le ring. Et si cela avait été le cas, le film aurait tout de même fonctionné. Car l’âme du film réside dans les moments quotidiens, parfois anodins, dans lesquels Robert De Niro et Joe Pesci brillent par leur justesse de ton. Les scènes de disputes entre les deux frères sont de véritables leçons de comédie et figurent parmi les meilleurs moments de Raging Bull. Le rôle de Jake LaMotta ancre définitivement Robert De Niro dans la mythologie hollywoodienne où la figure du boxeur est à l’égal du cowboy : légendaire. L’acteur remporte l’Oscar pour son dévouement au personnage. Après de longs mois d’entraînement avec Jake LaMotta en personne, qui classera sans hésitation l’acteur dans les meilleurs boxeurs de sa génération, De Niro prend 30 kilos en l’espace de quatre mois pour interpréter le boxeur après qu’il ait raccroché : le jusqu’auboutisme de Robert De Niro à son apogée.

Avec Raging Bull, Martin Scorsese étale aux yeux du monde son immense talent de conteur par l'image et ses qualités de technicien. Sa direction d’acteurs fait exister ses personnages et sa caméra les magnifie. Le film est un chef d’œuvre technique. L’esthétique noir et blanc du long métrage résulte de multiples facteurs : dramaturgiques et techniques. A l’époque, les couleurs de la pellicule résistaient mal au temps qui passe. De plus, la couleur et en particulier le rouge des gants de boxes, ne convenait pas aux souvenirs en noir et blanc de cette époque. Il fallait également démarquer le film de ses quatre concurrents de l’année 1980, parmi lesquels se trouvait Rocky II qui, car plus accessible, connaitra une carrière plus heureuse que Raging Bull dans les salles.


















Nous ne remercierons jamais assez le géant De Niro pour avoir remis sur les rails Martin Scorsese, lui redonnant le goût de filmer, nous offrant ce qui est considéré aujourd’hui par beaucoup comme le meilleur film de cette décennie.

Les scènes de boxe du film sont époustouflantes. Scorsese livre des séquences dont la maestria est une référence pour bon nombre de réalisateurs. Le réalisateur de Casino choisit ici d’innover en ne filmant jamais le ring de l’extérieur. Il préfère nous faire vivre l’expérience du boxeur pendant le combat, qui dépasse dans le film les simples limites du sport. La distorsion du son, la fumée qui entoure le ring, la sueur dégoulinant des corps des combattants, la caméra de Scorsese qui donne aux adversaires de LaMotta des airs diaboliques, sont autant d’éléments cinématographiques qui nous plongent dans l’enfer dans lequel Jake cherche, encore et toujours, sa rédemption.

Si Thelma Schoonmaker remporte l’Oscar du meilleur montage, et De Niro la statuette du meilleur acteur, Martin Scorsese doit se contenter d’une simple nomination. La monteuse soulignera cette absurdité en confiant que son travail n'était que l'aboutissement de la réflexion du réalisateur, débutée depuis la préparation du film. L’Académie commet une nouvelle erreur de jugement, que beaucoup, des professionnels au public, regretteront.

A la fin du film, De Niro est tout seul, cherchant à recoller les morceaux avec son frère dans une scène bouleversante où il apparait, malgré sa carrure imposante, aussi fragile que du verre. L'ultime scène, saisissante, présente Jake LaMotta, devenu un showman de pacotille, qui récite un monologue de Brando tiré du film Sur Les Quais semblant résumer sa vision de sa relation fraternelle. Avant d’entrer sur scène, il trottine dans sa loge, répétant à maintes reprises « I’m the boss » comme à l’époque où il montait sur le ring.

Nous ne remercierons jamais assez le géant De Niro pour avoir remis sur les rails Martin Scorsese, lui redonnant le goût de filmer, nous offrant ce qui est considéré aujourd’hui par beaucoup comme le meilleur film de cette décennie.

Note : ★★★★★★★★★ 10/10

Bande annonce "Raging Bull"

Raging Bull (1980)
Réalisé par : Martin Scorsese
Ecrit par : Paul Schrader et Mardik Martin
Produit par : Robert Chartoff et Irwin Winkler
Avec : Robert De Niro, Cathy Moriarty, Joe Pesci
Directeur de la Photographie : Michael Chapman
Montage : Thelma Schoonmaker
Durée : 2h05
Budget : 18,000,000 $
Box Office (USA) : 23,334,953 $
France : 444,000 entrées