Avec Raging Bull, Martin Scorsese signe un film magnifique. Chef d’œuvre
majeur du cinéma américain, il sacre le réalisateur comme un des
meilleurs cinéastes n’ayant jamais existé.
Raging
Bull retrace la vie du boxeur américain d’origine italienne, Jake
LaMotta. Surnommé « le Taureau du Bronx », il atteint
les sommets grâce à des combats mythiques contre Sugar Ray Robinson
et Marcel Cerdan qui le mèneront au titre de champion du monde des
poids moyens. Mais la violence continue, même une fois le combat
terminé. A coups de poing et de mots, les personnages finissent par
se détruire les uns les autres.
Quatrième
collaboration entre les deux hommes, Raging Bull reste leur plus beau
film à ce jour.
Raging Bull,
nous le devons à l’entêtement de Robert De Niro qui passa près de
cinq années à convaincre son ami Martin Scorsese de diriger le
film. Mais le réalisateur, avant même Taxi Driver, ne se sent
pas touché par la descente aux enfers du boxeur Jack LaMotta, qui a
connu la gloire dans les années quarante. Car le sport, Martin
Scorsese n’y connait rien. Asmathique depuis l’enfance, il vécut
ses premières années à la fenêtre de son appartement sur
Elisabeth Street, regardant ses amis jouer dans les rues de la Little
Italy. La boxe, il ne connaissait que celle du vendredi soir à
la télévision qui réunissait son père et ses amis devant le minuscule écran des premières télévisions.
Après son New York,
New York tourné en 1977 et son échec cuisant au box-office,
Martin Scorsese doute de son talent de metteur en scène, entrant
dans une spirale destructrice entre dépression et overdose
de cocaïne. Cette descente aux enfers le conduira à l’hôpital.
Souffrant d’une hémorragie interne, il échappe de peu à la mort
en novembre 1978. L’acteur du Parrain II lui
rend visite sur son lit d’hôpital, l'interrogeant sur sa
volonté de poursuivre les préparations de Raging Bull. Après
l’expérience malheureuse par laquelle est passé le réalisateur,
ce dernier s’identifie davantage au boxeur Jack LaMotta et accepte de
diriger le film. L’opiniâtreté de l’acteur a payé, nous
offrant, à l'occasion de leur quatrième collaboration, leur plus beau film à
ce jour.
« Peu
importe ce que tu fais, peu importe le talent que tu crois avoir, il
y a toujours Martin Scorsese… » Brian de Palma
Dès
les premières secondes, le spectateur sait qu’il s’apprête à visionner un
film magnifique. Le générique, saisissant, présente Robert De Niro
déambulant au ralenti sur le ring, se déplaçant avec la
majestuosité d’un fauve en cage. Ici les cordes font office de
barreaux, établissant d’emblée le caractère animal du personnage.
Plus tard, dans une autre cage, sa cellule de prison, le personnage de De Niro
explicitera cette condition de laquelle il veut se détacher : « I’m
not an animal » répétera-t-il, effondré. Sur ce ring,
Robert De Niro est seul et c’est cela dont veut traiter le film.
Malgré le prestige de certains boxeurs qu’il affrontera, c’est
d’abord contre lui seul que se battra Jake La Motta : se punissant
lui-même de certaines de ses actions dans lesquelles il ne percevait plus
clairement les délimitations du ring. Car, dans la vie de cet homme, l’arène est partout. De la cuisine à la chambre à coucher, quand ce n’est
pas avec les poings que Jake frappe, ce sont ses mots qui sont aussi
percutants que ses uppercuts.
D’un noir
et blanc éclatant et porté par l’air magnifique de Cavalleria
Rusticana, le générique est aussi féroce que le boxeur
lui-même aux yeux des réalisateurs qui sévissent à l’époque. Le
réalisateur de Scarface, Brian de Palma, préparant ce qu'il
considérait à l’époque comme son meilleur film, Blow Out,
s’assit dans la salle de cinéma, assistant à la projection du
nouveau film de son ami et s’exclama : « Peu importe ce
que tu fais, peu importe le talent que tu penses avoir, il y a
toujours Martin Scorsese… ».
Cette figure de
boxeur ancre définitivement Robert De Niro dans la mythologie
hollywoodienne, qui remporte l’Oscar pour son dévouement au
personnage.
Alfred Hitchcock répondait à ceux accusant le
manque de vérité de ses films, qu’il ne faisait non pas des
tranches de vies mais des tranches de gâteau. Entendez, des
histoires divertissantes. Ici, Martin Scorsese nous offre une véritable
tranche de vie. Raging Bull fait partie de ses films, tout comme
Mean Streets et Les Affranchis, criant de vérité.
L’alchimie entre les acteurs est flagrante et témoigne d’une
connaissance parfaite des comédiens pour les personnes qu’ils
interprètent, quand ce n’est pas des figures authentiques de la vie
du réalisateur de Taxi Driver qui apparaissent à
l’écran.
Martin Scorsese voulait au départ faire un film
de boxe sans aucune scène sur le ring. Et si cela avait été le cas,
le film aurait tout de même fonctionné. Car l’âme du film réside
dans les moments quotidiens, parfois anodins, dans lesquels Robert De
Niro et Joe Pesci brillent par leur justesse de ton. Les scènes de
disputes entre les deux frères sont de véritables leçons de
comédie et figurent parmi les meilleurs moments de Raging Bull.
Le rôle de Jake LaMotta ancre définitivement Robert De Niro dans la
mythologie hollywoodienne où la figure du boxeur est à l’égal du
cowboy : légendaire. L’acteur remporte l’Oscar pour son dévouement au
personnage. Après de longs mois d’entraînement avec Jake LaMotta
en personne, qui classera sans hésitation l’acteur dans les
meilleurs boxeurs de sa génération, De Niro prend 30 kilos en
l’espace de quatre mois pour interpréter le boxeur après qu’il
ait raccroché : le jusqu’auboutisme de Robert De Niro à son
apogée.
Avec Raging Bull, Martin Scorsese étale aux yeux du monde son immense talent de conteur par l'image et ses qualités de technicien. Sa direction d’acteurs fait exister ses personnages et sa caméra les magnifie. Le film est un chef d’œuvre technique. L’esthétique noir et blanc du long métrage résulte de multiples facteurs : dramaturgiques et techniques. A l’époque, les couleurs de la pellicule résistaient mal au temps qui passe. De plus, la couleur et en particulier le rouge des gants de boxes, ne convenait pas aux souvenirs en noir et blanc de cette époque. Il fallait également démarquer le film de ses quatre concurrents de l’année 1980, parmi lesquels se trouvait Rocky II qui, car plus accessible, connaitra une carrière plus heureuse que Raging Bull dans les salles.
Nous ne remercierons jamais assez le géant De Niro
pour avoir remis sur les rails Martin Scorsese, lui redonnant le goût
de filmer, nous offrant ce qui est considéré aujourd’hui par
beaucoup comme le meilleur film de cette décennie.
Les
scènes de boxe du film sont époustouflantes. Scorsese livre des
séquences dont la maestria est une référence pour bon nombre de
réalisateurs. Le réalisateur de Casino choisit ici
d’innover en ne filmant jamais le ring de l’extérieur. Il
préfère nous faire vivre l’expérience du boxeur pendant le combat, qui
dépasse dans le film les simples limites du sport. La distorsion du son, la fumée qui entoure le ring, la sueur
dégoulinant des corps des combattants, la caméra de
Scorsese qui donne aux adversaires de LaMotta des airs diaboliques,
sont autant d’éléments cinématographiques qui nous plongent
dans l’enfer dans lequel Jake cherche, encore et toujours, sa
rédemption.
Si Thelma Schoonmaker remporte l’Oscar du
meilleur montage, et De Niro la statuette du meilleur acteur, Martin
Scorsese doit se contenter d’une simple nomination. La monteuse
soulignera cette absurdité en confiant que son travail n'était que l'aboutissement de la réflexion du réalisateur, débutée depuis la préparation du film. L’Académie commet
une nouvelle erreur de jugement, que beaucoup, des professionnels au
public, regretteront.
A la fin du film, De Niro est tout seul,
cherchant à recoller les morceaux avec son frère dans une scène
bouleversante où il apparait, malgré sa carrure imposante, aussi
fragile que du verre. L'ultime scène, saisissante, présente Jake LaMotta, devenu
un showman de pacotille, qui récite un monologue de Brando tiré du film
Sur Les Quais semblant résumer sa vision de sa relation fraternelle.
Avant d’entrer sur scène, il trottine dans sa loge, répétant à
maintes reprises « I’m the boss » comme à
l’époque où il montait sur le ring.
Nous ne remercierons
jamais assez le géant De Niro pour avoir remis sur les rails Martin
Scorsese, lui redonnant le goût de filmer, nous offrant ce qui est
considéré aujourd’hui par beaucoup comme le meilleur film de
cette décennie.
Note : ★★★★★★★★★ 10/10
Bande annonce "Raging Bull"
Raging Bull (1980)
Réalisé par : Martin Scorsese
Ecrit par : Paul Schrader et Mardik Martin
Produit par : Robert Chartoff et Irwin Winkler
Avec : Robert De Niro, Cathy Moriarty, Joe Pesci
Directeur de la Photographie : Michael Chapman
Montage : Thelma Schoonmaker
Durée : 2h05
Budget : 18,000,000 $
Box Office (USA) : 23,334,953 $
France : 444,000 entrées
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