15/09/2012

Raging Bull (1980) - ★★★★★★★★★ 10/10

Avec Raging Bull, Martin Scorsese signe un film magnifique. Chef d’œuvre majeur du cinéma américain, il sacre le réalisateur comme un des meilleurs cinéastes n’ayant jamais existé.

Raging Bull retrace la vie du boxeur américain d’origine italienne, Jake LaMotta. Surnommé « le Taureau du Bronx », il atteint les sommets grâce à des combats mythiques contre Sugar Ray Robinson et Marcel Cerdan qui le mèneront au titre de champion du monde des poids moyens. Mais la violence continue, même une fois le combat terminé. A coups de poing et de mots, les personnages finissent par se détruire les uns les autres.




Quatrième collaboration entre les deux hommes, Raging Bull reste leur plus beau film à ce jour.

Raging Bull
, nous le devons à l’entêtement de Robert De Niro qui passa près de cinq années à convaincre son ami Martin Scorsese de diriger le film. Mais le réalisateur, avant même Taxi Driver, ne se sent pas touché par la descente aux enfers du boxeur Jack LaMotta, qui a connu la gloire dans les années quarante. Car le sport, Martin Scorsese n’y connait rien. Asmathique depuis l’enfance, il vécut ses premières années à la fenêtre de son appartement sur Elisabeth Street, regardant ses amis jouer dans les rues de la Little Italy. La boxe, il ne connaissait que celle du vendredi soir à la télévision qui réunissait son père et ses amis devant le minuscule écran des premières télévisions.

Après son New York, New York tourné en 1977 et son échec cuisant au box-office, Martin Scorsese doute de son talent de metteur en scène, entrant dans une spirale destructrice entre dépression et overdose de cocaïne. Cette descente aux enfers le conduira à l’hôpital. Souffrant d’une hémorragie interne, il échappe de peu à la mort en novembre 1978. L’acteur du Parrain II lui rend visite sur son lit d’hôpital, l'interrogeant sur sa volonté de poursuivre les préparations de Raging Bull. Après l’expérience malheureuse par laquelle est passé le réalisateur, ce dernier s’identifie davantage au boxeur Jack LaMotta et accepte de diriger le film. L’opiniâtreté de l’acteur a payé, nous offrant, à l'occasion de leur quatrième collaboration, leur plus beau film à ce jour.



« Peu importe ce que tu fais, peu importe le talent que tu crois avoir, il y a toujours Martin Scorsese… » Brian de Palma

Dès les premières secondes, le spectateur sait qu’il s’apprête à visionner un film magnifique. Le générique, saisissant, présente Robert De Niro déambulant au ralenti sur le ring, se déplaçant avec la majestuosité d’un fauve en cage. Ici les cordes font office de barreaux, établissant d’emblée le caractère animal du personnage. Plus tard, dans une autre cage, sa cellule de prison, le personnage de De Niro explicitera cette condition de laquelle il veut se détacher : « I’m not an animal » répétera-t-il, effondré. Sur ce ring, Robert De Niro est seul et c’est cela dont veut traiter le film. Malgré le prestige de certains boxeurs qu’il affrontera, c’est d’abord contre lui seul que se battra Jake La Motta : se punissant lui-même de certaines de ses actions dans lesquelles il ne percevait plus clairement les délimitations du ring. Car, dans la vie de cet homme, l’arène est partout. De la cuisine à la chambre à coucher, quand ce n’est pas avec les poings que Jake frappe, ce sont ses mots qui sont aussi percutants que ses uppercuts.

D’un noir et blanc éclatant et porté par l’air magnifique de Cavalleria Rusticana, le générique est aussi féroce que le boxeur lui-même aux yeux des réalisateurs qui sévissent à l’époque. Le réalisateur de Scarface, Brian de Palma, préparant ce qu'il considérait à l’époque comme son meilleur film, Blow Out, s’assit dans la salle de cinéma, assistant à la projection du nouveau film de son ami et s’exclama : « Peu importe ce que tu fais, peu importe le talent que tu penses avoir, il y a toujours Martin Scorsese… ».


Cette figure de boxeur ancre définitivement Robert De Niro dans la mythologie hollywoodienne, qui remporte l’Oscar pour son dévouement au personnage.

Alfred Hitchcock répondait à ceux accusant le manque de vérité de ses films, qu’il ne faisait non pas des tranches de vies mais des tranches de gâteau. Entendez, des histoires divertissantes. Ici, Martin Scorsese nous offre une véritable tranche de vie. Raging Bull fait partie de ses films, tout comme Mean Streets et Les Affranchis, criant de vérité. L’alchimie entre les acteurs est flagrante et témoigne d’une connaissance parfaite des comédiens pour les personnes qu’ils interprètent, quand ce n’est pas des figures authentiques de la vie du réalisateur de Taxi Driver qui apparaissent à l’écran.

Martin Scorsese voulait au départ faire un film de boxe sans aucune scène sur le ring. Et si cela avait été le cas, le film aurait tout de même fonctionné. Car l’âme du film réside dans les moments quotidiens, parfois anodins, dans lesquels Robert De Niro et Joe Pesci brillent par leur justesse de ton. Les scènes de disputes entre les deux frères sont de véritables leçons de comédie et figurent parmi les meilleurs moments de Raging Bull. Le rôle de Jake LaMotta ancre définitivement Robert De Niro dans la mythologie hollywoodienne où la figure du boxeur est à l’égal du cowboy : légendaire. L’acteur remporte l’Oscar pour son dévouement au personnage. Après de longs mois d’entraînement avec Jake LaMotta en personne, qui classera sans hésitation l’acteur dans les meilleurs boxeurs de sa génération, De Niro prend 30 kilos en l’espace de quatre mois pour interpréter le boxeur après qu’il ait raccroché : le jusqu’auboutisme de Robert De Niro à son apogée.

Avec Raging Bull, Martin Scorsese étale aux yeux du monde son immense talent de conteur par l'image et ses qualités de technicien. Sa direction d’acteurs fait exister ses personnages et sa caméra les magnifie. Le film est un chef d’œuvre technique. L’esthétique noir et blanc du long métrage résulte de multiples facteurs : dramaturgiques et techniques. A l’époque, les couleurs de la pellicule résistaient mal au temps qui passe. De plus, la couleur et en particulier le rouge des gants de boxes, ne convenait pas aux souvenirs en noir et blanc de cette époque. Il fallait également démarquer le film de ses quatre concurrents de l’année 1980, parmi lesquels se trouvait Rocky II qui, car plus accessible, connaitra une carrière plus heureuse que Raging Bull dans les salles.


















Nous ne remercierons jamais assez le géant De Niro pour avoir remis sur les rails Martin Scorsese, lui redonnant le goût de filmer, nous offrant ce qui est considéré aujourd’hui par beaucoup comme le meilleur film de cette décennie.

Les scènes de boxe du film sont époustouflantes. Scorsese livre des séquences dont la maestria est une référence pour bon nombre de réalisateurs. Le réalisateur de Casino choisit ici d’innover en ne filmant jamais le ring de l’extérieur. Il préfère nous faire vivre l’expérience du boxeur pendant le combat, qui dépasse dans le film les simples limites du sport. La distorsion du son, la fumée qui entoure le ring, la sueur dégoulinant des corps des combattants, la caméra de Scorsese qui donne aux adversaires de LaMotta des airs diaboliques, sont autant d’éléments cinématographiques qui nous plongent dans l’enfer dans lequel Jake cherche, encore et toujours, sa rédemption.

Si Thelma Schoonmaker remporte l’Oscar du meilleur montage, et De Niro la statuette du meilleur acteur, Martin Scorsese doit se contenter d’une simple nomination. La monteuse soulignera cette absurdité en confiant que son travail n'était que l'aboutissement de la réflexion du réalisateur, débutée depuis la préparation du film. L’Académie commet une nouvelle erreur de jugement, que beaucoup, des professionnels au public, regretteront.

A la fin du film, De Niro est tout seul, cherchant à recoller les morceaux avec son frère dans une scène bouleversante où il apparait, malgré sa carrure imposante, aussi fragile que du verre. L'ultime scène, saisissante, présente Jake LaMotta, devenu un showman de pacotille, qui récite un monologue de Brando tiré du film Sur Les Quais semblant résumer sa vision de sa relation fraternelle. Avant d’entrer sur scène, il trottine dans sa loge, répétant à maintes reprises « I’m the boss » comme à l’époque où il montait sur le ring.

Nous ne remercierons jamais assez le géant De Niro pour avoir remis sur les rails Martin Scorsese, lui redonnant le goût de filmer, nous offrant ce qui est considéré aujourd’hui par beaucoup comme le meilleur film de cette décennie.

Note : ★★★★★★★★★ 10/10

Bande annonce "Raging Bull"

Raging Bull (1980)
Réalisé par : Martin Scorsese
Ecrit par : Paul Schrader et Mardik Martin
Produit par : Robert Chartoff et Irwin Winkler
Avec : Robert De Niro, Cathy Moriarty, Joe Pesci
Directeur de la Photographie : Michael Chapman
Montage : Thelma Schoonmaker
Durée : 2h05
Budget : 18,000,000 $
Box Office (USA) : 23,334,953 $
France : 444,000 entrées

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